Le Change et la vallée de la Vézère : deux terres jumelles du berceau préhistorique périgourdin

1 octobre 2025

Quand Le Change partage la lumière préhistorique avec la Vézère

Le Périgord Noir, terre de rivière et d’abris sous roche, s’est imposé depuis plus d’un siècle comme l’un des plus vastes musées à ciel ouvert de la Préhistoire mondiale. Si la vallée de la Vézère occupe naturellement le devant de la scène – avec ses sites UNESCO tels que Lascaux ou la grotte de Font-de-Gaume –, la région de Le Change, moins connue, partage pourtant des liens intimes, géologiques, culturels et humains avec sa célèbre voisine.

Qu’est-ce qui fait le pont entre Le Change et la vallée de la Vézère ? Pourquoi retrouve-t-on ici, tout près de la Loue, des traces humaines similaires à celles du Moustier, de la Ferrassie ou de la Madeleine ? Tour d’horizon des points d’ancrage communs, des découvertes emblématiques et des filiations entre ces terres qui racontent, au fil des millénaires, une même aventure humaine.

Des paysages à abris similaires : quand la géologie modèle la présence humaine

À Le Change comme tout au long de la vallée de la Vézère, le calcaire joue le rôle principal. Cette roche, déposée à l’ère secondaire il y a plus de 150 millions d’années, a été creusée par les eaux souterraines et les rivières, offrant tout un chapelet d’abris naturels et de grottes. Ce n’est pas un hasard si, ici comme là-bas, les humains du Paléolithique ont élu domicile : la position dominante, la protection face au froid et à l’humidité, et une vue stratégique sur les vallées giboyeuses.

  • Le Change : abris Le Peyrat, Roc de Saint-Sulpice, coteaux dominant la Loue
  • Vallée de la Vézère : abris du Moustier, Cap-Blanc, Laugerie-Haute et Basse, La Madeleine, etc.

L’université de Bordeaux, relayée par le ministère de la Culture (source), rappelle combien la typologie des abris à Le Change est proche de ces abris « classiques » du Périgord noir, facilitant la conservation d’outils, d’ossements et de preuves d’occupation continue entre Néandertaliens et Homo sapiens.

Des cultures et traditions préhistoriques partagées : les outils et l’art mobilier

Le Change, tout comme la Vézère, offre des points de convergence majeurs dans les types de cultures préhistoriques identifiées :

  • Des vestiges moustériens (attribués aux Néandertaliens, ~ -120 000 à -35 000 ans)
  • Des traces du Magdalénien (fin du Paléolithique supérieur, ~ -17 000 à -12 000 ans)
  • Du matériel du Gravettien ou du Solutréen, selon certains secteurs

En 1978 encore, la revue Gallia Préhistoire indiquait que des lamelles à dos, grattoirs et burins de tradition moustérienne et magdalénienne avaient été retrouvés dans plusieurs abris de Le Change, tout comme dans les illustres sites des Eyzies ou de la Roque Saint-Christophe. Ces outils, façonnés souvent dans le même silex local, témoignent d’une communauté d’habitudes techniques et possiblement de relations d’échanges sur de vastes territoires.

Côté art, si Le Change n’a pas livré à ce jour d’équivalent de Lascaux, des fragments d’art mobilier (pierres gravées, os sculptés) proches de ceux de Laugerie ou de la Madeleine ont été retrouvés au Peyrat et au Roc de Saint-Sulpice, selon les travaux de Jean-Pierre Chadelle (Bulletin de la Société Préhistorique Française, 2001).

Des itinéraires migratoires et économiques convergents

Au-delà de la géologie et des cultures matérielles, Le Change et la vallée de la Vézère se trouvent au cœur d’un vaste réseau de circulation humaine dès la Préhistoire. Les forêts et rivières qui relient la Loue et la Vézère servaient probablement de véritables « corridors » :

  • Pour la chasse : les troupeaux d’aurochs et de rennes suivaient les vallées, précieux pour la subsistance des groupes humains.
  • Pour l’échange de matières premières : des morceaux d’ocre retrouvés à Le Change présentent, selon l’INRAP, une origine qui n’est pas locale, trahissant la circulation de matériaux à longue distance.
  • Pour l’évolution des cultures : la transition entre Mousterien (Néandertal) et Aurignacien (Homo sapiens) est visible aussi bien à la Ferrassie qu’au Roc Saint-Sulpice.

L’archéologie récente montre par ailleurs que les sociétés magdaléniennes, à la toute fin de la Préhistoire, parcouraient jusqu’à 200 kilomètres pour s’approvisionner en silex ou en coquillages, reliant ainsi la vallée de la Vézère à tout un réseau régional dans lequel Le Change trouvait naturellement sa place.

Quelques découvertes marquantes : l’exemple du Peyrat à Le Change

Le site du Peyrat, à Le Change, offre une illustration concrète des ponts entre ces deux univers :

  • Découverte en 1904 par Jules de Bridoire, le Peyrat a livré plusieurs couches d’occupation montrant une alternance moustérienne, puis magdalénienne, très similaire à celle observée dans des sites comme Laugerie-Basse.
  • Parmi les objets trouvés : des gravures sur os, des perçoirs et des burins typiques de la phase supérieure du Magdalénien (vers -14 500 ans).
  • Les reconstitutions paléoenvironnementales indiquent ici aussi la présence de grandes prairies claires parcourues par des rennes, chevaux, bisons, soit le même cadre que dans la vallée de la Vézère à la même époque (cf. C. Chauchat, La Préhistoire en Périgord, Sud Ouest, 2010).

Ce qui rend ces sites fascinants, c’est que l’évolution des traditions techniques est quasiment synchronisée avec celles des Eyzies ou du Moustier.

Le Change, “petite Vézère” ? Les limites des parallèles

Malgré ces ressemblances fortes, des nuances subsistent entre les deux territoires. La concentration exceptionnelle de sites ornés et de matériel archéologique dans la vallée de la Vézère a peu d’équivalents en Europe, avec plus de 100 gisements répertoriés entre Montignac et Limeuil.

  • Lascaux, Font-de-Gaume et Combarelles, mondialement connues, offrent des frises polychromes et des gravures d’une complexité absente jusqu’ici à Le Change.
  • Le Change, sans abriter de vastes grottes ornées, joue par contre un rôle de « tête-de-pont » vers l’intérieur du Périgord, offrant aux préhistoriques une étape pour la chasse, la cueillette et le stockage.
  • La diversité des couches chronologiques est un peu moindre autour de la Loue, peut-être en raison d’une moindre sédimentation ou d’une exploitation ultérieure des sols par l’agriculture.

Cependant, si Le Change n’a pas la notoriété de ses voisines de la Vézère, il propose un documentaire unique sur la vie quotidienne des populations préhistoriques plus modestes – cabane, outils utilitaires, travail de l’os –, là où la vallée de la Vézère émerveille surtout par l’art pariétal.

Quelques anecdotes et découvertes récentes

  • En 2007, des travaux autour du bourg de Le Change ont mis au jour des éclats de silex travaillés dans une couche profonde, attestant d’une activité humaine dès –45 000 ans, soit le plus vieux témoignage de la région à quelques kilomètres des incontournables Eyzies (cf. rapport archéologique DRAC Nouvelle-Aquitaine).
  • Une dent de jeune Néandertalien retrouvée du côté de Saint-Sulpice en 1932 a fait l’objet d’étude isotopique récente, confirmant des habitudes alimentaires et des parcours saisonniers analogues à ceux identifiés dans la vallée de la Vézère (Université de Bordeaux, 2019).
  • Les légendaires “pierres du Peyrat”, amassées lors de fouilles illégales au début du XXe siècle, étaient soigneusement échangées dans les bistrots des villages environnants : plus d’un collectionneur des Eyzies en possède aujourd’hui dans ses vitrines !

La passion locale pour les vieilles pierres est d’ailleurs telle que chaque jardin ou presque cache ici un silex taillé, transmis de génération en génération, comme un témoignage discret et vivant du lien entre Loue et Vézère.

Pistes de visite pour les curieux d’aujourd’hui

Pour quiconque souhaite marcher sur les traces de nos ancêtres et ressentir ce fameux fil rouge de la Préhistoire régionale, il existe quelques incontournables à inscrire sur votre carnet :

  1. Sentier du Roc de Saint-Sulpice : surplombant la Loue, il offre une vue spectaculaire et invite à imaginer les campements du Paléolithique supérieur (panneaux explicatifs installés en 2012 par la mairie).
  2. Visite du Musée national de la Préhistoire aux Eyzies : pour comprendre les liens matériels et culturels qui unissent tous ces sites, la collection permanente expose des pièces collectées dans la vallée… et à Le Change !
  3. Balade du Peyrat : circuit pédestre de 4 km, à la découverte des abris et du panorama sur la vallée de la Loue. Quelques cairns marquent l’emplacement des principales fouilles anciennes.
  4. Chemin d’interprétation de la vallée de la Vézère : partez du Change par le GR36 et rejoignez Montignac ou Les Eyzies à pied ou à vélo, un itinéraire conjuguant paysages et archéologie.

À chaque détour, les paysages dessinent ce que l’archéologie ne cesse de rappeler : un territoire ouvert, attractif et traversé, propice à tous les brassages humains depuis plus de 50 000 ans.

Regards croisés sur un berceau de l’humanité

La géologie commune, l’évolution simultanée des cultures préhistoriques, les réseaux migratoires et les échanges matériels font de Le Change et de la vallée de la Vézère deux chapitres indissociables de la grande aventure humaine du Périgord. Le Change, loin d’être un simple satellite, éclaire d’un jour précieux ces vallées de la Dordogne qui fascinent archéologues et passionnés du monde entier.

Mais au-delà des chiffres et des hypothèses, c’est l’expérience de la visite – entre falaises dorées, chemins creux et traces discrètes de nos ancêtres – qui permet de ressentir tout le poids symbolique de cet ancrage préhistorique partagé. Impossible de marcher sur les sentiers de Le Change sans deviner, sous les pierres ou la mousse, l’écho du geste d’un tailleur de silex ou le bruissement d’un feu oublié.

Pour ceux qui veulent comprendre la Préhistoire « grandeur nature », ces liens entre Le Change et la vallée de la Vézère offrent une porte d’entrée captivante sur l’intimité millénaire du Périgord : histoire, émotions et paysages réunis, en toute discrétion.

En savoir plus à ce sujet :