Histoires insolites et légendes autour de l’église de Le Change : mémoire vivante du village

6 septembre 2025

Un monument au cœur de la vallée : l’église Saint-Martin de Le Change

Au premier regard, l’église Saint-Martin de Le Change se distingue par sa silhouette trapue, typique de nombreuses églises rurales du Périgord. Édifiée à partir du XII siècle, elle domine la vallée de l’Auvézère, servant à la fois de repère et de point de ralliement pour la communauté. Mais, comme beaucoup d’édifices, son histoire ne se limite pas aux pierres : elle s’accompagne de nombreux récits populaires, souvenirs transmis au fil des générations, où la réalité se mêle subtilement à la légende.

L’église Saint-Martin n’a jamais fait l’objet de fouilles archéologiques majeures, mais elle concentre toute une série de marques anciennes : pierres sculptées, graffitis, petites croix révélant la trace de rites anciens. Son chevet roman, classé Monument Historique en 1912 (base Mérimée), conserve son aspect d’origine, ce qui en fait le support idéal des récits populaires de la région.

Entre faits historiques et croyances : les traditions populaires liées à l’église

Les villages du Périgord, et Le Change en particulier, n’ont jamais cessé de transmettre des histoires en marge de la « grande Histoire ». L’église, cœur battant de la vie collective, a alimenté les récits populaires, souvent liés à sa vocation protectrice ou à l’inexplicable.

  • Les pierres miraculeuses : On raconte que certaines pierres du portail conservent des marques que l’on dit laissées par le bâton de Saint-Martin lui-même, venu évangéliser la région. Il n’est pas rare, lors des visites guidées estivales, d’entendre ce récit transmis par des anciens du village.
  • La cloche « qui sonnait toute seule » : Selon une croyance attestée dès le XIX siècle dans les écrits de l’abbé Plagnol (source : BNF Gallica), la cloche aurait retenti seule, certaines nuits d’orage, avertissant d’un danger imminent – souvent associé à la crue soudaine de l’Auvézère.
  • La source du curé : Une petite source, au pied du mur nord, est appelée « la fontaine du curé » ou « font de l’abat ». Une tradition orale évoque sa puissance pour soigner certaines affections, à condition de s’y rendre en procession après la messe de la Saint-Jean (24 juin). Ce rituel, probablement d’origine païenne, n’a pas complètement disparu au début du XX siècle.

La légende du « trésor du Change » : entre histoire et quête secrète

Difficile d’évoquer l’église sans mentionner la plus persistante des légendes locales : celle d’un trésor caché, que les invasions successives n’auraient jamais totalement révélé. La Dordogne est une terre d’invasions – des Vikings au passage des Protestants durant les guerres de Religion, en passant par la guerre de Cent Ans.

  • La cache du trésor : Selon une chronique paroissiale de 1858 (source : Archives départementales de la Dordogne), les villageois auraient muré dans l’église une petite réserve de pièces frappées à l’effigie des Plantagenêts pour les soustraire aux pillards. Certaines restaurations menées dans les années 1970 ont d’ailleurs révélé des cavités sous la nef, aujourd’hui condamnées.
  • L’histoire de la clé perdue : Dans la mémoire orale, il est aussi question d’une clé disparue, massive, supposée ouvrir la « porte du trésor » située sous la sacristie. Chaque génération aurait tenté de la retrouver, sans succès, et certains enfants du village y ont vu un parfait terrain de jeu.

Récits de miracles et de protections : l’église comme rempart

L’église Saint-Martin joue traditionnellement un rôle de refuge : lors des grandes peurs collectives (épidémies de peste, guerres, tempêtes), les habitants s’y regroupaient pour prier ou s’abriter, croyant à un pouvoir protecteur. La mémoire locale a gardé la trace de plusieurs épisodes :

  • L’écroulement évité pendant la guerre de Cent Ans : Un récit populaire mentionne une attaque imminente, au cours de laquelle les paroissiens, réfugiés à l’intérieur, auraient vu l’ennemi faire subitement demi-tour, troublé par une lumière mystérieuse émanant du clocher. La chronique de Jean Tarde au XVII siècle évoque la « lanterne de Saint-Martin », sans préciser la nature exacte du phénomène (source : Persée).
  • Le miracle des récoltes sauvées : On rapportait jusqu’au début du XX siècle qu’une procession autour de l’église lors d’étés caniculaires pouvait, selon les habitants, « appeler la pluie » et épargner les cultures du village, alors même que le reste de la vallée souffrait de sécheresse.

Symboles et marques mystérieuses dans la pierre

En observant attentivement les murs et le portail de l’église, on distingue plusieurs marques intrigantes :

  • Les graffitis de croisés : À droite du portail occidental, une dizaine de croix gravées de façon maladroite ont été attribuées à des « croisés » ou pèlerins sur la route de Saint-Jacques, venus demander la protection avant leur départ. Ce type de graffitis était courant au Moyen Âge (source : Édl).
  • La « main du meunier » : Un bas-relief quasiment effacé représente, d’après les anciens, la main d’un meunier ayant survécu à un terrible accident grâce à une prière in extremis à Saint-Martin. Il aurait fait graver ce motif en remerciement, perpétuant la croyance en la protection du saint.

Coutumes oubliées et fêtes anciennes

Jusqu’à la première moitié du XX siècle, l’église Saint-Martin était le centre de nombreuses festivités calendaires, qui réunissaient tous les habitants du village :

  • Le feu de la Saint-Jean : Après la messe, on allumait un grand feu devant l’église, autour duquel circulaient les plus jeunes, censés rapporter « la chance des moissons » à leur famille. Ce rite était suivi de chansons en occitan local – dont certains refrains sont encore connus des aînés du village.
  • Bénédiction des semences : Au printemps, chaque agriculteur apportait un sac de semences pour la bénédiction. Ne pas venir exposait, croyait-on, au « chabrol » – une mauvaise récolte liée au regard jaloux du voisin ou à la malédiction accidentelle proférée pendant la cérémonie. Cette peur du « mauvais œil », très présente dans le Périgord, se retrouve dans de nombreuses communautés rurales (source : Bérose).

Petites histoires et anecdotes recueillies dans la mémoire locale

  1. Le « fantôme du presbytère » : Une veillée de 1902 évoquait la présence d’une « dame blanche » traversant la nef à heure fixe, à la Toussaint. Plusieurs enfants du village affirmaient avoir vu « une brume blanche qui marchait sans bruit ». Probablement une histoire effrayante pour pimenter les longues soirées d’hiver, mais restée bien présente dans l’imaginaire local.
  2. La chouette porte-bonheur : Une chouette effraie a longtemps niché sous la charpente, juste au-dessus de la statue de Saint-Martin. Selon les dires des anciens, la voir au sortir de la messe promettait protection pour l’année à venir – coutume attestée lors des recensements ruraux de l’entre-deux-guerres.
  3. L’enfant perdu : Un récit de la fin du XIX siècle raconte l’histoire d’un jeune garçon égaré, retrouvé sain et sauf dans la sacristie après une nuit entière. Les villageois y ont vu une forme de miracle, ce qui donna lieu à l’offrande d’un cierge votif chaque année jusqu’en 1914.

L’église Saint-Martin, témoin vivant aux récits toujours renouvelés

L’église de Le Change, au-delà de son intérêt architectural et historique, demeure un foyer de mémoire où résonnent histoires, émotions et traditions populaires. À l’écoute des anciens, on saisit combien chaque pierre, chaque élément de décor, chaque rumeur contribue à dessiner une identité locale forte et singulière. Aujourd’hui, si la plupart de ces rituels appartiennent au passé, il suffit de pousser la porte de l’église ou de discuter avec un habitant pour voir ressurgir le fil des légendes, comme une invitation à redécouvrir le village autrement.

Redonner vie à ces récits, c’est aussi témoigner d’un savoir-vivre enraciné, où l’église n’est plus simplement un lieu de culte mais l’épicentre d’un imaginaire partagé, à transmettre de génération en génération.

Pour aller plus loin, plusieurs sources proposent des recueils accessibles sur la mémoire rurale et les légendes du Périgord : le Musée du Périgord, la Société historique et archéologique du Périgord, ou encore le recueil d’archives en ligne Périgord.com. À chaque visite, livre ou entretien avec les habitants, la magie opère et les pierres de l’église de Le Change murmurent toujours de nouveaux récits.

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