L’église de Le Change : un témoin singulier du patrimoine religieux périgourdin

3 septembre 2025

Un village, une église : racines d’une implantation médiévale

L’histoire de l’église de Le Change, en Dordogne, commence dès le haut Moyen Âge, à une époque où l’implantation religieuse façonne les paysages du Périgord. Le Change, aujourd’hui paisible village, fut dès le XI siècle un point stratégique sur la route reliant Périgueux à Brantôme et Limoges (source : Archives départementales de la Dordogne). Tout autour du bourg, les vestiges de la vie médiévale subsistent à travers quelques linteaux de pierre réemployés ou des traces de fortifications modestes, rappelant la nécessité pour les églises rurales de servir tour à tour de lieu de culte, de refuge et de repère communautaire.

Au centre de la vie villageoise, l’église n’était pas seulement un édifice religieux mais également un lieu de réunion, un marqueur d’identité pour les habitants. Ainsi, en Dordogne, près de 600 églises rurales sont aujourd'hui recensées, témoignage de l'importance de ce maillage religieux (source : Service Patrimoine du Conseil départemental de la Dordogne).

La singularité architecturale de l’église de Le Change

L’église de Le Change fut érigée probablement entre le XII et le XIII siècle, dans le sillage du grand mouvement de reconstruction des édifices religieux du Périgord Roman. Son plan adopte les standards régionaux, mais certains éléments architecturaux la distinguent :

  • Un chevet plat rare dans le secteur : Alors que beaucoup d’églises du Périgord s’achèvent par une abside en cul-de-four, l’église de Le Change présente un chevet plat, caractéristique que l’on retrouve davantage plus à l’ouest, vers l’Angoumois.
  • Mur-clocher fortifié : Comme dans nombre d’églises du Périgord, à l’instar de celles de Saint-Léon-sur-l’Isle ou de Cornille, la partie supérieure du clocher est munie de meurtrières ou de modillons saillants. Ceci reflète le rôle défensif des églises pendant les périodes d’insécurité – notamment la guerre de Cent Ans (1337-1453) et les Guerres de Religion (source : Les églises fortifiées du Périgord, M. Colleu, 1984).
  • Des modillons sculptés typiques : Sous la corniche, une série de modillons attire l’œil. Certains affichent encore des visages grimaçants, des corbeaux et des motifs végétaux qui servent autant à éloigner le mal qu’à symboliser la diversité du monde vivant, illustrant ainsi la richesse du bestiaire roman périgourdin.

Le portail occidental, bien que remanié à plusieurs reprises, conserve encore la trace d’anciens chapiteaux dont l’un évoque, selon certains spécialistes, l’emblématique croix templière — signe de l’influence possible de certaines commanderies voisines, comme celle de Condat-sur-Trincou.

L’intégration de l’église dans le patrimoine religieux du Périgord

Pour comprendre la place de l’église de Le Change dans le patrimoine religieux du Périgord, il faut regarder plus largement les caractéristiques qui unissent, tout en distinguant, les églises de cette région :

  • La voûte en berceau segmentée : Typique du Périgord Roman, elle offre résistance et simplicité. À Le Change, la nef conserve une sobre élégance, accentuée par la blancheur du calcaire local.
  • Traces de polychromie médiévale : Malgré des restaurations successives, des fragments d’enduits colorés subsistent dans l’abside, témoignant de la vivacité ancienne des fresques, comme cela est encore visible à Saint-Amand-de-Coly ou à Paunat.
  • Une implantation en promontoire : L’édifice est bâti sur une légère éminence dominant la vallée de l’Isle, reprenant un schéma fréquent en Périgord, où l’édifice religieux marque symboliquement la possession du territoire.

Il est notable que, comme près de 80% des églises rurales du nord du Périgord, la paroisse de Le Change était sous l’autorité du chapitre cathédral de Périgueux jusqu’à la Révolution, ce qui a garanti une continuité de l’usage et de l’entretien du bâtiment, alors même que d’autres paroisses subissaient conflits et abandons (source : Périgord Romain).

Une mémoire locale : rites, légendes et refuge au fil des siècles

Au fil du temps, l’église a été le théâtre de récits qui forgent l’âme du village. Selon la tradition orale, confirmée en partie par les registres paroissiaux du XVIII siècle, la cloche aurait servi d’alerte lors des attaques des bandits de grand chemin, ce qui explique l’existence de la petite ouverture triangulaire dans la façade sud — la "fenêtre des sentinelles", dont voici l’une des anecdotes les plus vivantes :

  • En 1792, lors de la tourmente révolutionnaire, l’église aurait abrité nuitamment les statues de saints menacées de destruction. Réunies dans une cache sous les dalles du chœur, certaines sont réapparues lors de travaux en 1923 — l'une d’elles, représentative de Saint Roch, fut retrouvée incomplète mais a été restaurée et trône aujourd’hui dans une niche latérale, visible aux visiteurs curieux.
  • Chaque année à la Saint-Pierre, la procession locale faisait trois fois le tour de l’église afin de conjurer les mauvaises récoltes, un rite hérité du paganisme tardif et que l’on retrouve dans plusieurs villages voisins.

Les églises rurales du Périgord ont longtemps servi de refuges en cas de troubles : à Le Change, la Chronique de l’abbé Mandonnet signale qu’en 1569, lors du passage des troupes réformées, la population se serait réfugiée dans la nef. Les murs épais de l’édifice étaient alors les ultimes défenseurs du village.

L’église aujourd’hui : préservation, vie locale et héritage partagé

Classée monument historique depuis 1971 (source : Base Mérimée, Ministère de la Culture), l’église fait l’objet d’efforts de préservation portés par la municipalité et les habitants. Outre les offices religieux et les cérémonies familiales, elle accueille parfois des expositions sur l’art roman régional, grâce au dynamisme des associations périgourdines de sauvegarde du patrimoine.

  • Restauration de la toiture en 1982 : Grâce à une souscription locale, soutenue par la Fondation du Patrimoine, la couverture en tuiles plates a pu être refaite à l’identique, évitant de lourds dommages structurels.
  • Inventaire et étude du mobilier : En 2007, le mobilier liturgique a été inventorié par le Service départemental du patrimoine. Parmi les pièces remarquables, un ostensoir en argent doré datant de 1745, classé au titre des objets mobiliers.
  • Visites estivales : L’église ouvre ses portes chaque été lors des Journées du Patrimoine, l’occasion pour les visiteurs de découvrir la richesse discrète de cet édifice méconnu.

Le réseau des « Petites Cités de Caractère » du Périgord a d’ailleurs retenu Le Change comme point d’intérêt lors de ses parcours découverte depuis 2016, l’église étant considérée à la fois comme marqueur de l’histoire locale et comme un trait d’union entre les générations.

Prolonger la découverte : quelques idées pour s’immerger dans le passé religieux du Périgord

Pour apprécier l’église de Le Change dans toute sa dimension patrimoniale, rien ne vaut une promenade dans la campagne alentour. De nombreux chemins balisés relient les édifices religieux voisins, chacun présentant des variantes de ce patrimoine unique :

  • Découvrir l’église de Cornille et son clocher donjon.
  • Flâner près de l’abbaye de Chancelade, haut lieu du monachisme régional.
  • Explorer les petites chapelles rurales dispersées entre Isle et Beauronne, véritables trésors inconnus.

L’église de Le Change reste ainsi, au cœur de son village, un témoin irremplaçable du patrimoine religieux du Périgord. Elle incarne la capacité du territoire à préserver la mémoire tout en restant ancrée dans la vie vivante du XXI siècle. Chaque pierre, chaque détail sculpté, chaque rituel conservé est une invitation à découvrir, à comprendre et à ressentir la richesse d’un passé qui façonne le présent.

En savoir plus à ce sujet :